Souvent, dans ma vie professionnelle bien chargée, j'ai rêvé d'avoir du temps pour moi pour mener de petits projets
comme des grands.
Les
petits projets comme revoir toute ma décoration, prendre des cours
de langue sérieusement, faire diminuer considérablement le tas de
vêtements qui nécessitent un ourlet, un petit raccommodage, ou
utiliser enfin ces tissus que je garde depuis des années. Et
les grands projets, comme partir en voyage, ce fameux Brest-Tokyo que
nous voulons faire en train avec ma sœur. Comme vraiment l'ouvrir ce
salon de thé-librairie de ouaouache et cuisiner tous les matins des
petits sablés mignons à offrir aux clients.
Et
bien, pour la première fois dans ma vie, j'ai eu du temps. Énormément de temps. Je suis au chômage, sans emploi, à la
recherche d'un emploi depuis le mois de mars. 10 mois.
Plus long que le
temps d'une gestation. 10 mois où les jours se ressemblent tous et
s'engluent les uns dans les autres. Mon temps est devenu en grande
partie du temps domestique. A tous les gens qui ne me demandent plus
ce que je fais de mes journées, car je fais tout pour éviter la
conversation, voici un exemple d'une journée type.
7h00.
Le premier réveil de mon compagnon sonne. Il l'éteint.
7h30.
Le second réveil sonne. C'est une radio, il la laisse allumée, il
aime se réveiller tranquillement avec le son des voix. Tant mieux,
moi aussi.
8h30.
Il part, je me lève à peu près à ce moment-là, pour lui faire un
bisou et lui souhaiter une bonne journée. Je déjeune en allumant
mon ordinateur. Je passe environ une heure sur internet. J'ai
toujours aimé lire quelques blogs, mais là, c'est exponentiel,
c'est le genre d'occupation qui a pris énormément d'ampleur depuis
mon inactivité professionnelle. Durant cette heure, je lis, regarde
les photos, j'ai découvert Pinterset, Instagram, et toute cette
activité virtuelle est chronophage. Je consulte également une
trentaine de sites d'emploi, spécialisés dans mon domaine ou non.
Si je trouve des annonces intéressantes, je les imprime pour m'en
occuper plus tard.
9h30.
Là, c'est direction la salle de bain où je passe pas mal de temps
également. Evidemment, pourquoi se presser ? J'ai le temps.(Comme je
déteste cette phrase à présent, j'ai le temps. J'ai le temps de
penser, de m'ennuyer, de ne pas arriver à me reprendre en main, de
constater que je ne trouve pas d'annonces correspondant à mon
profil, qu'il me manque des compétences, que mes amis sont loin
aujourd'hui, que gnagna, gnagna...)
Donc,
la salle de bain. Je n'ai jamais autant respecté les consignes
beauté des magazines et des esthéticiennes. Gommage et masque une
fois par semaine, minimum. Lait corporel
sur les jambes pour une peau bien hydratée. Epilation. Maquillage soigné.
10h.
Etat des lieux de la cuisine. Vaisselle de la veille. Lancer une
machine à laver le linge. Plier celui de la veille. Éventuellement,
repassage. Reste la fin de la matinée à occuper. En général,
c'est là que je retourne sur mon ordinateur pour rechecker les
mails, les comptes des réseaux sociaux, etc. Et que je tente de
planifier le reste de la journée : annonces auxquelles répondre,
courses à faire, repas/plats à préparer...
12h30
: je mange devant la télé. Et là, il y a un piège. La télé
reste un immense aimant qui peut me forcer à rester sur mon canapé
tout l'après-midi. J'ai eu une période de découverte des émissions
pourries de l'après-midi. A peu près toutes, sauf celles qui sont insupportables quand on a plus de 20 ans. Les émissions canadiennes,
américaines, australiennes très très mal doublées. Les téléfilms
allemands très très clichés. Les documentaires animaliers devant
lesquels j'ai toujours adoré dormir.
14h30
: Si je ne m'assoupis pas, si j'arrive à contrer le champ
électro-magnétique de la télévision, alors, je réponds à une
annonce pour en déchirer 3 qui ne me conviennent finalement pas.
Ou
alors, je vais faire des courses. Ou je vais me promener une heure,
pour sortir mon nez de chez moi et découvrir un peu la ville.
16h30-17h
: C'est l'heure critique. Celle où la journée est de toute façon
déjà foutue. Où si je ne suis pas sortie, je ne sortirai plus. Où,
si je n'ai pas répondu à cette annonce, ça attendra le lendemain.
Où, si j'ai une fringale, elle se transforme en crise de boulimie.
C'est l'heure de l'attente. Je sais que mon compagnon sortira du
boulot à 18h10. J'attends son appel qui me dira qu'il rentre.
Parfois, c'est l'heure où je cuisine, pour le repas du soir même ou
pour celui du lendemain, que mon chéri pourra emporter au travail
dans un tupperware.
18h10
: Coup de fil.
18h30
: Arrivée de mon compagnon. Et là, c'est une soirée comme à peu
près tous les couples. Rien d'exceptionnel, si ce n'est que, enfin,
dans ma journée, je peux parler à quelqu'un. Pas par téléphone,
pas la boulangère ou la caissière, non, une vraie personne avec qui
je peux échanger. Sauf que je raconte ce que j'ai entendu à la
radio, pas ma journée de travail ou le truc rigolo vu dans le
tram...
Bien
sûr, il y a des variantes.
Il
y a eu les rares journées avec entretiens d'embauche, tous ratés,
et dont je mets, à chaque fois, au moins 2 jours à me relever. Et
qui m'incitent à ne plus postuler sur des postes où je ne fais pas
complètement l'affaire, histoire de me mettre le moins possible en
posture d'échec, faute de savoir gérer l'échec.
Il
y a la semaine hyper rythmée avec la nièce où nous avons visité
le zoo, l'aquarium, fait des bateaux dans des coquilles de noix... Il
y a eu l'été, où nous avons eu quelques visites des amis à qui je
fais visiter la ville, du moins ce que j'en connais.
Il
y a eu l'installation, les cartons, les démarches administratives au
début, qui ont bien occupé mes journées.
Il
y a les coups de fils à la frangine, elle aussi sans emploi.
Il
y a les coups de fils aux amies n'ayant pas des horaires de travail
conventionnels.
Il
y a la tentative de bénévolat. Une fois par semaine, histoire de
sortir de chez moi pendant 3h30... Il faudrait y retourner.
Il
y a un blog, qui permet d'écrire un peu, de regarder un peu comment
ça fonctionne, la vidéo, photoshop, tout ça... pour finalement s'en
tenir à des fonctions très simples.
Il
y a tout ces "Je devrais..." qui deviennent souvent des "A
quoi bon..." ou "J'ai eu la flemme".
Il
y a les conseils de tout le monde (sauf de Pôle emploi, mais qui
répond quand même à mes questions de façon lapidaire) que je ne
veux plus entendre.
Il
y a le tricot, qui fait que je ne reste pas totalement inactive
devant l'aimant télévisuel.
J'occupe
mes journées. Mais je sais que mon temps libre serait plus intense
si, à côté, il y avait du temps contraint. J'ai le temps, alors,
je peux repousser telle ou telle chose à faire puisque j'ai le
temps.
Se
reprendre en main ? Mais pour quoi faire ? Que vais-je faire de tout
ce temps ?
Le
perdre. Ouais, c'est pas mal ça, le perdre, par petites miettes
perdues. Comme un Petit Poucet qui émiette son pain dans la forêt,
et que les oiseaux vont manger, faire disparaître.
Voilà.
Voilà ce que je pourrais répondre désormais quand on me demandera
"Tu fais quoi de tes journées ?"
"Je
les passe à émietter le temps."
Mais
le Petit Poucet, il jète des miettes pour ne pas se perdre. Et moi,
j'émiette le temps pour le perdre ?
Je
dois être un peu perdue !
Mais,
ça va. Le paradoxe de ce temps gluant qui s'étire et qui se
mélange, c'est qu'il n'est pas forcément douloureux, pas forcément
malheureux. Il est stérile, oui.
Quelle
donnée bizarre que le temps. 10 mois. Je ne m'étais pas rendue
compte...
Parce que c'est ce qui tourne dans les enceintes tout de suite maintenant :